Réflexions esthétiques




Jusqu’au XIXe siècle, les Grandes Orgues étaient conçues pour la musique de l’époque et de la région où se trouvait l’instrument. ( l’orgue et nous). Au XXe siècle eurent lieu des grands mouvements rétro qui célébraient certaines périodes historiques et maudissant les autres. Le XXIe siècle se distingue par le fait qu’on essaie d’apprécier tous les styles et toutes les époques à leur juste valeur, ce qui va de pair avec le fait qu’on en possède le savoir et les facultés nécessaires.

Cela donne lieu d’un côté à des instruments extrêmement spécialisés, p.ex. les orgues de Bellelay, l’orgue Ahrend à Porrentruy ou les instruments planifiés à Beurnevesin et Grandvillars. Ce sont des instruments conçus pour certains styles clairement circonscrits du XVIIe ou bien XVIIIe siècle ( Ligne des Orgues). De l’autre côté il y a les grands instruments universels, comme les Grandes Orgues de l’Eglise Française à Berne ou celles de la Münster de Bâle.

Cette volonté d’apprécier chaque expression artistique à sa juste valeur a déjà atteint le méta-niveau. On commence à étudier et à apprécier, par exemple, l’interprétation de la musique de la fin du XVIIIe siècle au milieu XXe.

C’est là qu’entrent en jeu les Grandes Orgues de la Collégiale de Moutier:

1.

Conformément à l‘esthétique de l’époque l’instrument appartient au style du néoclassicisme, prenant la tradition allemande du XVIIe siècle comme modèle - telle qu’elle était perçue au début des années 1960. Ce style se distingue par une sonorité brillante et riche en harmoniques, basée sur des tailles étroites et des mixtures aigües. Tout cela est réalisé dans les grandes orgues de la Collégiale dans une qualité largement supérieure à la moyenne de l’époque. Mais de manière inattendue, Kuhn recula devant les jeux de mutation pointus qui, eux aussi, font partie intégrante de l’esthétique de l’époque.

Contrairement à ce qui s’est fait dans le cas de beaucoup de révisions ou transformations effectuées sur des orgues de ce style depuis les années 1980 jusqu’à présent, nous avons résisté à la tentation d’adapter le son brillant de l’orgue de Moutier pour le conformer aux idéaux actuels (par exemple en décalant la tuyauterie ou en effectuant une réharmonisation radicale). Au contraire, nous ajoutons au moins un jeu de mutation caractéristique pour l’époque. En reconnaissant ainsi le style des années 1960 et en le respectant, la rénovation des grandes orgues de la Collégiale jouera un rôle pilote dans la facture d’orgue contemporaine.

2.

À l’encontre des idéaux de l’époque, Kuhn inclut également quelques registres typiques pour l’orgue symphonique français du XIXe siècle. Il anticipe ainsi sur une évolution qui ne sera pleinement développée que dans les décennies suivantes. On constate malheureusement que Kuhn – et c’est compréhensible – ne parvint pas à mener cette entreprise à terme de manière conséquente. En effet, les Grandes Orgues de la Collégiale de Moutier disent A, mais ne disent pas B.

Voici un exemple:

César Franck, Choral en mi majeur

Parce que ces jeux sont tous si spécifiques et caractéristiques de ce style de musique, ils ne peuvent pas être remplacés par d’autres. Il est donc impossible de jouer ce morceau. Et ce n’est pas une seule pièce qui est écartée ainsi du répertoire, mais tout un siècle. Le XIXe siècle, cette époque si riche et si féconde, le siècle des plus grandes acquisitions musicales; La musique la plus sensible, la plus touchante et impressionnante - tout cela est exclu ! Et ce qui m’étonne le plus, c’est qu’ici dans le Jura francophone ce soit la musique symphonique française qui soit exclue.

Alors:

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© Chr. M. Moosmann